Draguignan, le 30 Janvier 1891. Ma chère Marie, Je voulais t'écrire la semaine dernière, mais j'ai été fatigué pendant une huitaine. Si j'ai quitté le Gabon, ce cher pays m'a glissé dans mes colis quelques misérables fièvres. J'ai eu en effet la fièvre assez forte pendant quatre jours de suite. Aussi, il m'a fallu me purger et prendre de la quinine, tout comme à Libreville ou dans l'Oubanghi. Eau de Vichy, je me soigne consciencieusement. Mais mes pieds vont beaucoup mieux. Avec cela, depuis 8 jours, le soleil de Provence a fait son apparition, aussi je... J'espère aller à Lyon dans les premiers jours de Mars, à moins qu'il n'y ait encore de la boue ou de l'eau dans votre bonne ville, ce que je redouterais. Je serai fort facile en effet d'habiter votre nouveau nid, et aussi de flâner à la recherche d'une Nadine quelconque qui ferait réellement mon affection. En admettant que je ne puisse me marier de suite, je pourrais au moins planter un Gabon sérieux. J'avoue que cette existence solitaire commence à me peser singulièrement. Je demeure cependant à chercher un peu, et je pourrai me résigner quelque sujet de récit de série, que Camille et toi seulement pourrez envoyer chez lui. Je suis toujours sans nouvelles de Paris ; ces créatures ne m'ont même pas encore envoyé mon titre de Congé de Convalescence et mon mandat mensuel. Quel coup de balai on ferait ce qu'il a fait. Je suis révolté de l'indifférence et de l'injustice de ces gens-là. Cela me navre et m'empoisonne, et je demande que cette situation d'incertitude finisse. Il serait d'ailleurs nécessaire que je prépare mes affaires pour retourner là-bas ou bien alors à peine parti de Draguignan, il faudra que j'y revienne. Le plus, mon congé expire le 7 avril, et je n'ai aucun avantage à rester en France comme Chef d'Exploration, puisque je ne puis songer raisonnablement à m'établir. Tout cela est absolument désagréable et démontre que cette administration est la dernière des ingratitudes. Je ne puis vous fixer l'époque à laquelle j'irai vous voir, pour la bonne raison que cela dépend de ma nomination. En effet, si je ne puis compter sur rien du tout, dès que mes jambes seront en état je repartirais pour le Congo. En ce cas, je serai promptement près de vous, pour vous embrasser avant de partir. C'est égal, quelle canaille que ce de Chavanes, après la sale conduite qu'il a menée à Libreville, en compagnie d'une ignoble \[\[?femme\]\] de la négresse Bouboute, présidente du Tribunal, il devrait bien tâcher de fermer la bouche de certaines gens. Heureusement que j'ai la collection de mes rapports qui intéressaient bien le Gouvernement, s'il désirait en prendre connaissance ! Je les tiens à sa disposition. Donc, chère Marie, devant l'oubli bien significatif dans lequel me laissent tous ces gens-là, je pense que tu ne prendras pas la peine de chercher ce que j'ai l'air d'attendre. Il est écrit que ce bonheur n'est pas pour moi, hélas ! Je vous embrasse tous, petits et grands, de tout mon cœur. Mes meilleurs souvenirs à ces dames et à mes cousines. Ton dévoué frère,\ Jules Jacquot