# Lettre du 29 décembre 1889 ## Page 1 Qu’il pourra pour retarder ma nomination, soit en laissant mon nom dans l’ombre, soit même en me nuisant. — Il est certain que nous ne nous aimons pas, bien qu’il ne se soit jamais élevé un nuage entre nous. — Je serais d’avoir le petit... Renseignement suivant : au moment où de Chavanes a suivi de Brazza en 1883, dans quelle position financière se trouvait-il donc ? — On m’a assuré qu’il avait actuellement 300.000 f de dettes. — Si cela est vrai, même en admettant que la somme soit moindre, je ne comprends pas que le gouvernement ait accepté de mettre un homme dans cette situation — c’est-à-dire à la merci... ## Page 2 Je te félicite ma chère petite sœur de la décision que tu as prise, au sujet de ta dentition, et du courage que tu as montré à l’occasion de cette opération douloureuse. — Je pense que le printemps est mauvais, à cause des névralgies dentaires que le froid détermine chez certains tempéraments. — Mais enfin voilà qui est fait : nous n’en parlons plus. — Je suis content de savoir que vous êtes tous bien. Ta lettre respire un contentement qui fait plaisir ; enfin je vois que Camille travaille beaucoup, ce qui me fait penser qu’il avancera également beaucoup. A ce propos, ai bien... ...vu votre ami par M. Garnier, lequel n’est autre qu’un négociant de Libreville. — J’ai reçu également la petite bluette charmante de ma filleule. — Je vous en accuse réception, d’ailleurs, dans plusieurs lettres précédentes. Je suis heureux de voir combien sont bonnes vos relations avec les Fabre. — J’aurais été désolé qu’une lettre certainement mal interprétée pût une cause de froid entre vous ; à ce sujet, je vous dirai simplement en passant que je n’ai entendu faire parler de rien de Paris ni d’ailleurs. — Je n’écris plus à personne ; adressez que pouvoir. Il est néanmoins certain pour moi que de Chavanes, tout en étant très aimable pour moi, fera tout ce... ## Page 3 Libreville, le 29 décembre 1889 Ma bien chère Marie, Le courrier qui part le 6 décembre de Lisbonne m’a porté une lettre de toi, déjà vieille du 21 novembre. Il me semble que vous pourriez peut-être vous arranger pour m’envoyer de vos des nouvelles plus fraîches. — C’est bien simple : il y a deux départs par mois ; écrivez tous les 15 jours régulièrement, ce sera plus simple et plus fréquent. Le paquebot portugais qui quitte Lisbonne le 6 de chaque mois est rendu à Libreville le 25 du même mois ; il y a donc là une voie rapide, très sûre, dont vous auriez tort de ne pas profiter. — Les paquebots français sont moins rapides, parce que leurs escales sont plus nombreuses... ## Page 4 ...du premier créancier venu et aussi de la première tentation — à la tête d’une Colonie dont l’administration est aussi importante que celle du Gabon-Congo. — Ne croyez pas que ce soit le dépit qui me fasse parler ainsi. — Je vous ai dit ce que je pensais de de Chavanes : c’est un bon clerc de notaire, qui a été beau garçon, qui a une teinture de beaucoup de choses, mais qui au fond est nul et très persuadé de sa nullité, qu’il essaye mais en vain de cacher sous des dehors protecteurs. — Vérité acquisition ! Il est arrivé à se faire détester de tous fonctionnaires et colons, par sa faiblesse, sa pose et surtout son étonnant manque de tact. ## Page 5 J’attends voir philosophiquement et tranquillement, mais j’ai peur d’attendre bien longtemps. — Je suis depuis 10 jours dans ma chambre, frappé par une plaie au pied ; je voilà enfin cicatrisée, je pense que le soir 1er janvier je pourrai reprendre mon service. J’ai eu également un flux de bile considérable ; c’est le troisième depuis mon arrivée ; la médecine s’est décidée à me mettre à l’arsenic... Il est évident que toutes les bile que je me suis faite depuis deux ans sont maintenant à loisir. — Malheureusement on n’abandonne pas en un jour voluptés des plus fortes passions des mois et des années. ## Page 6 ...tu m’annonçais une lettre de Camille que je n’ai pas reçue. — J’espère qu’elle me sera apportée par le paquebot français arrivant ici le 10 janvier. — Je reçois toujours très exactement le Temps, et vous en remercie mon cher beau-frère. — J’ai appris que Justin avait vendu sa propriété avec profit. Néanmoins je regrette qu’un malheureux concours de circonstances nous prive à l’avenir du plaisir d’aller revoir aux bords de la bleu. — Il paraît que la France est absolument finie, et je le regrette autant pour vous que pour Justin. Pierre, dans sa dernière lettre, disait : "Marc me paraît en effet prévenir la fin de ce pauvre Emmanuel, malheureux, qui doit à un mal élevé jadis, peuvent faire un peu leur mea culpa. — Voilà Georges à la tête d’une compagnie, qui doit sourire à son ambition." ## Page 7 Allons chère Marie, je cesse mon bavardage ; et je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que tous les tiens. — Voici une année qui s’enfuit ; espérons que 1890 me verra plus tranquille. Ton dévoué frère, **Jules Zorn**