Paris, le 27 janvier 1893 9, rue Moncey Ma bien chère Marie, Je viens chercher des nouvelles de ma chère petite nièce et de mon cher Camille. J’espère que tes malades seront avant peu complètement tirés d’affaire, et que vous pourrez vous reposer en famille de tous ces ennuis qui vous ont assiégés. Pour mon compte, je ne vais pas très bien, et je voudrais bien voir arriver la fin de mes ennuis moraux, pour aller près de vous afin de recevoir les soins intelligents du docteur Jean. Aujourd’hui, par exemple, je me suis réveillé avec les joues et le bas de la figure enflés comme une citrouille et cela sans douleurs. Enfin, le bras gauche (main et poignet) est toujours enflé et rhumatismal, et très faible comparé avec le bras droit. Cependant le sommeil et l’appétit sont bons, et je n’ai pas eu à souffrir du froid. Je pense qu’il y a chez moi une faiblesse générale de circulation, et une maladie des glandes et enveloppes des articulations osseuses. Je comprends qu’il serait nécessaire que je sois pendant quelque temps soumis à un examen sérieux et à un régime à des eaux minérales que j’ai fait analyser comme bonnes. Avant que mes affaires ne soient terminées, j’ai dû malheureusement songer à quitter Paris. Je ne comprends pas beaucoup pourquoi on me fait languir ainsi. Le principe de la Réintégration semble bien admis ; M. Jamais lui-même qui depuis ma révocation a formellement insisté auprès de M. Delcassé pour que cette décision fût rapportée. Alors pourquoi prolonger cette situation ennuyeuse qui est certainement cause de mes fatigues physiques ? J’ai écrit à Léon mais il ne m’a rien répondu depuis qu’il m’a envoyé la lettre de Doumes datée du 7 janvier. Véritablement le silence inexplicable de M. Jules Ferry est de tous points regrettable : s’il se donnait la peine de réclamer un peu pour celui qu’il a fait nommer il y a deux ans, il recevrait certainement gain de cause. Les Bourdons vont bien sauf cette pauvre Albertine qui, depuis un mois, souffre d’une chute au genou gauche. Je ne sais si Henriette t’en a déjà parlé. Je crois qu’ils sont assez inquiets ; ils ont dû aller aujourd’hui consulter une des célébrités de Paris, le docteur Labbé. Quelle destinée nous avons tous, mes amis ! Nous ne sommes pourtant pas de gros Panamistes ! Enfin, espérons qu’avec le printemps le beau temps reviendra. Henriette a reçu de Madame Saint-Marc des lettres stupides ; d’ailleurs tu seras édifiée avant peu. Si j’ai un conseil de frère à te donner, c’est de laisser ces braves égoïstes cuire dans leur jus comme ils l’entendent. D’ailleurs, vous qu’ils ne vous seront jamais reconnaissants du moindre service que vous leur aurez rendu. M. et Mme Marc et sa fille n’ont qu’à aller s’établir dans leur famille. Je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que ton cher mari et tes quatre bébés. Présente bien mes amitiés à ces dames, aux cousins et à nos bons amis. Et surtout, soigne-toi bien et prends du repos. Ton tout dévoué frère, Jules Herbovy