Paris, le 4 février 1893 Ma chère petite sœur, Je suis toujours indisposé. Cette fois, l’enflure s’est portée à l’œil droit, et depuis trois jours je passe mes journées chez Henriette à tenir compagnie à Aurélien. Dans deux jours, j’espère que l’enflure aura disparu. J’ai consulté un médecin lequel, après examen, n’a rien trouvé au foie, au cœur et à la poitrine, et pas grand’chose à la rate. Il n’a seulement déclaré que j’avais un tempérament absolument arthritique et rhumatisant lequel avait été exaspéré par des fatigues physiques et morales. Pour le présent, il a diagnostiqué une éruption rouge avec infiltration qui a visé à l’ascension et à l’eau de Vichy, aux bains alcalins. Il m’a recommandé un régime d’abstention pour le poisson de mer, coquillages, charcuterie, alcool, truffes, etc. Tout cela n’a guère signification, je me vois un jour ou l’autre avec la goutte en perspective. Cela ne me fait pas rire. Plus que jamais, il faudrait vivre dans les pays chauds où la transpiration est abondante et assure le bon fonctionnement de la peau. En ce qui est de mes démarches, elles ont naturellement subi un temps d’arrêt du fait de ma maladie. Il semble que ma position soit bonne jusqu’à la fin de janvier. M. Jamais m’écrivait qu’il recevrait de me recommander à la bienveillance de M. Delcassé et qu’il espérait que j’obtiendrais bientôt satisfaction. Depuis cette date, malheureusement, silence complet. J’ai bien peur que, dans le feu de la réunion du Budget, ma modeste personne ait été oubliée, et ma réintégration ajournée à Dieu sait quel moment. J’avoue que cette attente laborieuse, incertaine et ennuyeuse est singulièrement difficile à supporter, et cependant je crains de la voir se prolonger encore longtemps car je suis compté par personne d’assez jeune centaine. Il y a longtemps que je n’ai reçu de nouvelles de Léon ; peut-être son indisposition l’a-t-elle un peu retenu. J’en serais bien peiné. Je vous remercie pour Monsieur Reycollas, mais je ne crois pas que cela me soit d’un grand secours. Après, je serais amené à rencontrer une personne de plus encore, toutes ces ennuyeuses histoires de longue traîne… Je suis étonné que Bourdeau n’ait voulu rien entreprendre sur Bordeaux ou autre député de la Gironde sur lequel il avait une influence de père. D’après un député élu de cette circonscription électorale, peut-être espère par direction sentimentale… Dans tous les cas, il aurait pu me donner une lettre d’introduction pressante pour lui, à laquelle j’aurais joint un dossier préparé depuis 2 mois… Je n’ai plus reçu de nouvelles de Boucifonds et Compagnie, dans le même sens… Est-ce que Bourdeau ne doit pas venir à Lyon ? Si oui, ce serait peut-être le moment pour ces messieurs de tenter quelque chose auprès de leur député. Enfin espérons et prions : je suis toujours convaincu du résultat final, seulement je le voudrais arrivé… Je suis heureux de penser que dans une quinzaine vous pourrez bien aérer votre gentil logement pour le préparer à bien recevoir les premières bouffées de Monsieur le Printemps. Au revoir, chère petite sœur, je t’embrasse bien fort, ainsi que ton mari et tes enfants. Mes amitiés à ces dames, aux cousins et aux amis. Votre tout dévoué, Jules Herbovy