# Lettre du 14 décembre 1882 Lorient, ce 14 Décembre 1882 Ma bien chère Marie, Tu as bien tardé en effet à répondre à ma lettre, et cependant vous n’avez pas grand’chose à faire, Mesdames, et ce n’est pas bien long d’écrire trois pages d’écriture. Mais, une certaine petite paresse vous conseille de rester bien doucement dans votre fauteuil près du feu, et le pauvre bonhomme de frère se passe de correspondance. Enfin, pour cette fois encore je ne vous mettrai pas au pain sec, mais gare la prochaine… Je suis heureux de savoir papa au milieu de vous, et jouissant d’un repos relatif. Rien n’égale son chez soi, surtout quand on n’a pas les goûts portés vers le changement et le mouvement. Pour moi, au contraire, il me faut changer souvent de résidence et de genre de vie, pour être content, ou du moins aussi relativement qu’on le peut. Je n’amuse toujours autant, seulement comme vous trouvez en Orient la danse est interdite dans les salons, et l’on se contente de jouer aux petits jeux, et surtout de causer avec ces demoiselles. Hier donc c’était soirée chez M. le Commissaire de Marine, notre bon professeur ; il y avait un charmant essaim de jeunesse, 15 élèves commissaires environ, 12 jeunes filles charmantes, à une sardine que je ne connaissais pas encore : cette Adrien, fille d’un juge au Gabon. Une vraie beauté. C’était plaisir de voir tous ces cœurs de 20 ans rayonnant de tendresse, éclats de rire argentins. Je crois que Janvier et Février seront bien gais ainsi. Vous avez dû comme nous avoir des froids rigoureux à Paris, comme à Brest (il gèle vite et souvent, et sérieusement). Je crois bien que je demanderai Toulon comme port d’attache. C’est plus grand, c’est plus animé, et mieux entouré comme grands centres : Marseille, Nice, Monaco, etc. De plus, les embarquements sont très nombreux et souvent très beaux. La vie y est joyeuse, et pas plus chère qu’ailleurs. Bref je crois que malgré l’antipathie que je partage avec beaucoup pour les Marseillais, on aime de Midi ! Marseille ! Toulon ! J’écrirai vers ce pays à la fin de l’année. C’est d’ailleurs un fort bon demande, car dans 3 ans nous serons au moins off de 1ère classe. Je n’ai pas changé de domicile, et je croyais vous avoir renseignés à ce sujet. Je n’ai pas la fortune de loger commun avec Courtet, mais nous habitons la même maison. J’ai reçu de Courtet une 1ère mise au point ? Nous sommes assez bien. Il est fort probable que j’aille à Blanck à Lorient. Chaque année il y a ainsi un petit tribut payé à cette jeune fille colonie qu’on nomme la Mort… J’ai écrit sérieusement à notre Olivier, et je l’espère aujourd’hui. J’espère que son séjour à Nancy lui donne toujours que de la joie, sans qu’il se souvienne trop de ceux qu’il a quittés. Est-ce que votre père se porte bien, et vous mademoiselle, avez-vous toujours de belles joues ? Vous allez, me dites-vous, vous promener dans cette bonne ville de Châteauroux. Amusez-vous bien avec vos cousins, et ne ménagez pas la voisine du cousin, si cette aimable grimbarde n’est pas réduite à l’état de bois à brûler ou d’épicerie à poudres. J’ai reçu il y a déjà quelque temps, une lettre de mon oncle, qui m’annonçait également la baisse de ses forces, et la venue de quelques toiles au mois d’avril. Je ne puis pas savoir qui elles ne sont pas encore d’autres… Au 1er janvier, ce sont des frais de voyage que je ne juge pas nécessaires faire. À propos du 1er janvier serais-tu assez bonne pour me dresser la liste de tous les individus parents, amis, etc. auxquels je dois écrire ou envoyer des cartes, liste relative aux adresses. Fais-la bien étendue. Il n’est jamais mauvais de rappeler qu’on existe. J’ai envoyé le journal du Père à l’oncle Francis, aussitôt que je l’ai eu en ma possession. Inutile de vous dire que je n’ai pas reçu de réponse. Je plains sincèrement Louis Goutteteron, mais j’ai peur que son mal ne soit une vengeance de Dieu, qui s’y est souvent lassé par le manque de foi. Au revoir ma sœur chérie, embrasse bien tout notre monde, et bonjour aux amis. Ton frère affectueux, **Jules Bazile**