Libreville, le 6 septembre 1889 Cher frère Marie, Je profite du départ de l’paquebot allemand pour vous dire un petit bonjour. Quand cette lettre vous parviendra vous serez sans doute auprès d’Henriette ; je vous souhaite beaucoup de plaisir. Je voudrais bien être à votre place, à côté de mon joli lutin blond ! Ma santé se maintient très bonne, j’ai toujours un excellent appétit et j’espère supporter gaillardement la mauvaise saison qui déjà s’annonce. Je suis toujours chef du secrétariat du Gouvernement. J’ai beaucoup à faire, et ce métier de paperasses ne me plaît guère ; mais je m’en tire à la satisfaction de M. de Chavannes qui se montre charmant pour moi, et je sens que je rends service. Inutile de vous dire que je n’ai rien reçu au sujet de ma nomination comme Administrateur Colonial de 1ère classe. Cependant, dans deux mois il y aura des élections, et je sais qu’on m’a été proposé, et qu’on avait solennellement opposé à Brazza comme à moi que ce serait pour l’après-vacance !!! Et cependant j’aurai 30 ans dans ces deux mois. Je n’y comprends véritablement rien du tout. Étant donné surtout le nombre d’individus peu convenables sous tous les rapports qu’on a introduits dans ce corps-là, on ne veut pas admettre un homme de bonne foi, c’est là. Il faudra bien cependant qu’on prenne une décision à mon égard, et je suis contentement d’avoir la provision et avenir de bouchon. C’est le seul pour avoir de mon horizon, mais je ne crois pas qu’on fasse grand chose pour le blanchir. J’ai été surpris du silence de Léon à son retour de Paris ; quel indélicat ! J’espère que toutes vos santés sont au beau, et que ma jolie filleule ne souffre plus de ses cagoules. Quelles vives émotions vous allez passer dans cette Provence, ah ! existence est faite d’envies ! Embrasse pour moi mon enfant, ma bien-aimée petite ; je ne la verrai sans doute que dans de longs mois. Croyez tous à mon dévouement, et recevez mille baisers. Votre frère, Gaston Balay