La Bourboule-les-Bains Grand Hôtel de Paris le 16 Juin 1891 Mon cher Camille, Je vous envoie la note du Docteur Michel, médecin de Paris, mon médecin (parent des Monnart-Dorian, amis de M. Ferry). Cette note ne conclut pas à l’impossibilité pour moi de retourner au Congo, parce qu’un médecin ne peut jamais conclure à quelque chose d’aussi affirmatif. Mais j’estime qu’elle indique suffisamment, sans forcer la note, que je ne dois pas être renvoyé au Congo, sous peine de n’y faire aucun service sérieux et d’être rapatrié au bout d’un temps très court. De Paris, je n’ai toujours aucune nouvelle de ma demande de fin mai. J’ignore donc si de Brazza a répondu au sous-secrétaire d’État au sujet de ma nomination à la 1ère classe. Cependant cette lettre lui avait été adressée le 29 mars par les Colonies. Comme tout cela se traîne, comme le temps passe et comme il est facile de cette façon de faire tomber le voile de l’oubli sur beaucoup d’affaires intéressantes. C’est une chose triste à penser. Mon régime se continue très régulièrement. Je ne pense pas le terminer avant le 27 juin. Le beau temps est revenu depuis 8 ou 9 jours, mais il ne semble pas devoir être de longue durée. J’attends une lettre de votre chère femme ; je pense qu’elle aura pu m’y avoir quelques timbres étrangers, par votre intermédiaire. Elle aurait retourné quelques-uns des timbres du Gabon. Si elle pouvait avoir en retour de mes lettres des Antilles, j’en serais content. Je suis content de vous voir tous en bonne santé. Tu dois avoir besoin de te reposer, de prendre l’air, tâche d’aller respirer au jour et de ne pas laisser arriver les grandes chaleurs sans vous être purifiés et fortifiés. L’hygiène joue un grand rôle dans la vie. Je suis également bien content de vous savoir si proches de la famille Fabre. Ce bout d’excellents parents et d’amis ne devront que multiplier les rapports avec eux. Je suis à l’hôtel avec plusieurs familles qui connaissent les Fabre. Il y a entre autres personnes M. Raumaud, qui est d’une famille diplomatique, et ses deux charmantes fillettes qui, si vous en demandez les timbres, ... Ton pays t’en procurer d’autres. Je lui serais reconnaissant. N’oublie pas de réunir toutes les lettres que j’ai écrites du Gabon, elles sont très rares. Ai-je reçu également en avoir du Cochinchine, du Japon, de Guyane et des pays du Centre Afrique, des États-Unis, des Colonies anglaises ? Cela ferait une heureuse et précieuse occupation, de faire de beaux enfants leur cahier de timbres. C’est une chose qui arrive parce que leur recommandant la collecte postale, ils sont aussi heureux. Je t’avoue que je voudrais bien, comme toi, trouver enfin quelqu’un que le sujet trouve. La pauvre Marthe Leriche ne vous empêche pas de chercher ailleurs, et surtout à Lyon. Ce serait beaucoup plus commode et plus vite fait. Je pense quitter la Bourboule le 27 ou le 28. Mais dans tous les cas, je vous écrirai deux jours à l’avance. Remerciez bien Léon de ma part, j’ai l’espoir que cette démarche peut réussir. Je suis toujours sans réponse de Paris pour ma nomination à la 1ère classe ; il ne faut jamais compter sur de Brazza pour rien. C’est une tristesse de voir toute l’affection qu’on peut ressentir à l’égard de cet homme sans cesse gâtée par l’amertume de se sentir oublié. Est-ce qu’il ne saurait pas, en bonne justice, me faire décorer ? C’était là la véritable récompense qu’il me devait. Je vous embrasse tous de tout mon cœur, ainsi que nos parents. Amitiés à Léon et remerciements. Veillez à ce qu’il s’active. Votre dévoué : Jules P.S. Le Dr Michel n’a pas voulu parler de mes plaies osseuses, parce qu’officiellement le traitement de la Bourboule n’y a pas trait ; mais il les considère également comme un empêchement.