+ Libreville, le 15 novembre 1889 Ma chère petite sœur, J’ai reçu le 11 courant ta bonne lettre du 3 octobre avec la charmante petite personne qu’elle contenait, et à laquelle j’envoie un gros baiser. J’étais d’autant plus ravi, qu’Henriette, avec une bonne idée semblable, m’a envoyé la photographie de Marguerite. Les deux bébés me sont arrivés par le même courrier, et le Gouverneur, M. de Chavaumes, à qui je les ai montrés, s’est extasié sur leur gentillesse mutuelle. Je n’en sais rien du tout. Contesté, hésitations, incertitudes: M. de Chavaumes, à mon avis, n’est pas à la hauteur de la tâche que de Brazza lui a confiée. C’est un brave garçon, mais, en le grattant un peu, on retrouve facilement le clerc de notaire. Bien entendu, garde cela pour vous. Aussi, j’aspire à quitter le plus promptement possible: cette occupation de bureau ne me donne aucune satisfaction. J’aimerais beaucoup mieux courir un peu la brousse ou du moins avoir une tâche à moi. Je pense que cela viendra. J’ai reçu en même temps que ta bonne lettre, de bonnes nouvelles des Dracénois. Ses aînés sont rentrés; Marie a ressenti un grand bien des bains de mer. J’ai reçu également une lettre de Pierre. Il ne me dit pas un mot de sa famille. Néanmoins sa lettre est très amicale. Son candidat boulangiste a reçu une jolie misérable. J’espère que l’âge amènera un peu de plomb dans cette tête. Il paraît que Serville Emmanuel va entrer bientôt dans la lagune des ombres; son frère, plus heureux (qui sait?), entre à l’École de guerre. J’espère que vous m’avez bientôt expédié les 6 flacons d’eau dentifrice des Bénédictins de Marseilles: ici, on n’a que des saletés, des falsifications. Je reçois toujours le Temps, bien régulièrement, avec cette belle petite gaine de soie verte, que je garde avec soin, car elle me servira à coudre mes Rapports officiels. Ce sera d’un bel effet, mon frère Camille, que le Gouverneur en sera jaloux. J’espère que mes lettres vous arrivent régulièrement; plusieurs à Henriette ne me sont pas parvenues. Je suis bien content de voir le petit Henry avoir bien pris son parti de l’école; dans peu ce sera le tour de Jean: quelle joie pour vous, mes bons amis. Vous ne me donnez pas de nouvelles des Gouttelaron et de Jean Fabre. J’ai écrit le mois dernier à Justin. Je vais avoir aussi cette série des lettres et des cartes de la nouvelle année: quelle balancerie. Chers amis, je vous embrasse tous de tout mon cœur, et me dis: Votre dévoué, Jules Barloy