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MrRaph_ 6cbd99eac4 Add transcriptions of letters from Jules Herbovy (1893-1895)
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Libreville, le 28 novembre 1889

Ma bien chère Marie,

Jai reçu le 29 courant ta lettre du 17 octobre. Je suis étonné que mes lettres tardent tant à vous arriver, car jécris au moins deux fois par mois. Jai constaté dailleurs que certaines lettres dHenriette ne métaient pas parvenues, il ne serait donc pas étonnant que la réciproque fût exacte. Tu mannonçais dans ta lettre des fleurs ou cires envoyées par Mme H. Maire; je nai rien trouvé dans lenveloppe.

Je vois que vous étiez tous heureux et bien portants, mais je vous plains de la situation qui vous est faite par laggravation de la maladie de Madame Clarion. Enfin, vous ferez appel à toutes les forces de votre cœur; ce sera pour cette malheureuse femme malheureuse aussi sa dernière histoire.

Jai ri surtout avec plaisir quand jai lu votre petit trio dhiver qui venait: beaucoup de soins, de précautions et gare aux choribeks!

Je vous envoie avec ces lignes lexpression la plus sincère de mes meilleurs souhaits. Je tenvoie par le paquebot portugais du 23 de ce mois mes cartes et lettres danniversaire. Vous mavez peut-être cru un peu oublieux; personne, il est véritable cependant que beaucoup mont oublié. Vous me connaissez assez, au-dessus des hommes, pour me donner des liqueurs, de largent et noir à lemployé. Je dois marranger à économiser environ 300 à 350 frs par mois, et cest bien juste de se faire inscrire avec les 300 frs qui maident avec les 300 frs qui restent. Quand je suis arrivé ici, le bon commissaire qui finit lintérim que je remplis actuellement, avait de ce chef un supplément annuel de 2000 frs. On me la supprimé. Toujours deux poids et deux mesures, inutile de vous dire que je nai pas réclamé!

À la longue, je me suis décidé au silence: à considérer la réussite des démarches que jai entreprises depuis 1886 (novembre), jai compris que je me faisais au cerveau et au cœur un mal considérable et irrémédiable. Je suis toujours un peu obsédé par des idées fixes, mais je suis résolu à ne plus ouvrir la bouche pour men plaindre. Le jour où jen aurai assez, surtout si mon cousin Justin venait à men aller, je ferai ce que jai fait déjà une fois.

Il arrive souvent en effet quune ambition ardente fasse place soudain à un amour ancien de la paix, de la tranquillité. Une sorte de fatigue, de lassitude morale conduit à un renoncement des affections. Dans ces moments fréquents, je vous avoue que si jétais en possession des 30.000 frs que jespère de mon cousin Justin, plus des 30.000 frs à moi que jaurai réunis le 1er janvier 1891, soit en tout 3000 frs de rente, je tâcherais dêtre nommé juge de paix, sous un petit trou dun pays où il fait chaud et sec. Peut-être serais-je Volont Point? Peut-être serais-je décidé à linertie tranquille, et à la médiocrité heureuse des années?

Certes, vous devez vous dire que bien des jours dans ma situation actuelle seraient confortés. Cest possible, je ne vous dirai même pas que ma tristesse et mon ennui sont les produits dune jalousie aigrie. Je constate simplement que je suis atteint dune maladie incurable voisine de lhypocondrie. Vous ne devez pas vous étonner lorsque je vous dis que je voudrais trouver encore beaucoup mon corps pour tâcher de soulager cette pauvre tête qui travaille trop.

Navoir à tout jamais des relations de bonne amitié, navoir pas même une amourette, une petite fiancée amoureuse pour parler des bonnes choses de lhumanité! Je ne crois pas que ce soit triste; je crois seulement que cest lécole qui prépare le mieux à la mélancolie incurable et à labandon de soi-même.

Ne vous y trompez pas: cest par là que lon devient philosophe, philosophe amer. Quimportent les conséquences de tel acte pour un esprit modifié qui ne peut plus supporter la moindre fatigue, la moindre peine! On se dit: de jour en jour, de coup et dappoint, la vie suse et sefface. Comme un claqueur de plomb, comme un claqueur grotesque.

Stérile, usagé et inutile. On est tout étonné de se dire un beau matin: jai vécu encore six ans depuis! Cest un déplorable état, mais rien ny fait.

Dans quelle ascendance, par quel phénomène datavisme ai-je trouvé ce masque intellectuel aussi loin que remontent mes souvenirs denfant, je nai rien vu de semblable chez nos familles. Jai bien cru que jai été conçu à une époque où nos chers père et mère avaient de grands soucis. Certaines circonstances de ma vie où javais atteint des situations misérables na pas été ménagé; une inclination naturelle pour les sentiments religieux et humains; enfin des affections extraordinaires où jai épuisé, en peu dannées, les larmes de mon cerveau et les douceurs de mon cœur. Quel fouillis dans cette chose que jappelle le moi!

Le dernier coup, ça a été cette pauvre petite Marie. Un jour, être sûr que jen ai été affreusement blessé et navré! Car, malgré que je me lutte la plaie, essayant de me tromper moi-même, je sais bien que cest impossible. Jamais les parents ne voudront, et je ne puis dire quils aiment tout. Si je pouvais rencontrer une jeune fille simple, et non pas une intellectuelle que jaurai loccasion dencadrer dans un pays plus civilisé que celui où je réside actuellement, il est évident que cela ne serait pas malheureux, parce que chez nous la fille remplace souvent lamour.

Mais le jour où je me trouverai en face de Marie dans dix ans, aurai-je la force de résister à la passion qui fait les minables aussi bien que les héros? On a beau parler du train-train de la vie, des sentiments qui passent et qui seffacent, quand la chair a été prise et bien prise, jusquà ce quelle soit morte, elle revient au moindre coup dœil, au moindre souvenir.

Pauvre enfant, pauvre moi!

Réjouissons un peu tout ce tableau trop gai. Je vais moccuper de ma année nouvelle. Intensément, ainsi toujours plus ardent de vivre que jamais. Bien le cas idéal pour mon déplacement. Hier absolument rien de Paris! En tous cas, envoyez-nous apportant une collection de nominations concernant des gens impartiaux et sous les meilleurs titres (services diplomatiques, etc.). Cest à croire que toutes les difficultés faites, les opportunités en mettant partout des nullités peu propres, mais bien soutenues!

Avez-vous reçu une lettre de moi dans laquelle je vous priais de menvoyer 6 flacons deau dentifrice des RR. PP. Bénédictins? Si oui, ne moubliez pas.

Je reçois toujours le “Temps” bien régulièrement et vous en remercie. Je conserve bien précieusement les ciseaux en soie verte qui me permettront de coudre mes Rapports, si jen ai quelques-uns à envoyer.

Là-dessus, je ferme mon clapet. Comme disait mon voisin aux simouns de lAlbatros, et je vous embrasse de tout mon cœur. En confidence, je vous dirai encore une fois que décidément M. de Chavaumes est très mieux fait pour être clerc de notaire que gouverneur. Je le quitterai sans regret, malgré son amabilité.

Votre dévoué,
Jules Barloy