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LettresJulesBerton/transcriptions/1889-12-16.md
MrRaph_ 6cbd99eac4 Add transcriptions of letters from Jules Herbovy (1893-1895)
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Libreville, le 16 décembre 1889

Ma bien chère Marie,

J'ai 30 ans depuis 10 jours ; 30 ans la moitié de la vie. Je trouve que c'est bien vite arrivé : pour ceux, regardant autour que nous, or, années au moins, de cette période qui vient de s'écouler, je n'ai pas de grands désastres à déplorer. Je puis dire également que je n'ai jamais connu une seule grande joie. Toutefois je n'ai pas été étranger au bonheur. Je vis sous très jeune, surtout de tendresse, et j'espère bien que mon tour viendra enfin d'aimer et d'être aimé, d'une façon pratique et réalisable. Je ne puis dire que ces deux choses n'existent pas, mais l'épithète finale est pour moi l'objet d'un doute. Combien les sauvages sont plus heureux que nous, puisqu'ils n'ont à compter, dans tout ce qui touche aux affections, ni avec les conventions du monde civilisé qui nous imposent bonnes mœurs, ni avec les difficultés de la vie sociale telle que vous l'entendez. En vérité, préservez-nous, vantes institutions, toutes nos organisations compliquées, pour en arriver à envier des barbares. N'est-il pas désespérant que l'homme en fasse, à propos de choses que je qualifierais d'assez secondaires, des lois prohibitives qui nous empêchent à chaque moment d'être parfaitement heureux. Au nombre de ces lois qui n'ont qu'un préjugé de classe. Tous ces préjugés sociaux, qui séparent très souvent des êtres faits l'un pour l'autre. J'aurais voulu arriver à Noël, pendant que vous êtes à Lyon, à avoir quitté Libreville. Jamais il n'a été de tentative plus humanitaire. Négociations plus humanitaires passant le pont Monard, car je désespère de voir le pont terminé avant de longues années. Puis le soir, la petite maman va chercher son cher compagnon, avec Henry ou Jean. On se remet l'un contre l'autre, et l'on va examiner les vitrines des beaux magasins lyonnais. Moi, aussi, malgré cet ennuyeux bureau qui me prend tout mon temps, je voudrais aller faire quelques jolies promenades dans les environs de Libreville. Combien de fois, menant à travers les lianes embrassées et les pelouses sans fin, composé de temps en temps d'un sympathique bouquet, combien de fois, dis-je, n'ai-je pas compris que là était le secret de mon amour pour ce pays, auquel en somme je ne dois guères que des ennuis. Je n'ai jamais trouvé de joie qu'au milieu d'une nature adorable, et ma tournure d'esprit amoureux de la solitude et de la rêverie m'a prodigué une certaine quiétude, pleine de jouissance, malgré les désillusions qui m'ont été réservées depuis un an que je suis entré dans une nouvelle carrière. Si Dieu ne m'a donné que cette jouissance, je la considère comme bien consolante. Elle ne trompe jamais.

Je me porte bien, et pour longtemps. Pour la même situation que nous devons occuper, que ce soit au refuge ou à la retraite, avec toute la foi, je la remplirai avec toute la foi que je puis. Jamais le colonial que je suis, n'a été aussi fermement résolu à ne jamais travailler par lui-même, ou moins à travailler par lui-même. Je le dis d'ailleurs sans amertume, jamais aucune portion, bien que tout cela ne me sourie guère. Car c'est un travail modeste et oublié. Mais la bonne opinion qu'on a de moi remplit mes devoirs, même quand une bien des choses, je mène quant au cœur aussi pur et ambitieux se trouve placé sous la boussole et au profit d'un imbécile fait pour être gouverneur comme moi pour être évêque. De Chavannes est un bon garçon, mais tout à fait inférieur. Il flotte beaucoup de nuages et les RR.PP., tout en ayant l'air très dévoué pour le gouvernement, c'est un petit aristocrate aux idées anciennes et sournoises. De plus, à la tournure des gens plus fins, deux tuns les uns nous arrive d'une nouvelle recrue écrite, dans une convenable réponse écrite presque. Gardons pour nous toute confiance. Mais j'ai bien vu de suite qu'il avait perdu de suite qu'il se plaçait supérieur en effet. Il ne me produisait pas et qu'il me donnait son appui, comme à avoir sous la main, sous l'apparence civile, lavoir prêtre, l'affectation.

Je n'ai aucune affection pour cet homme qui serait devenu un érudit, s'il y voyait son intérêt. Néanmoins, nos rapports sont d'une correction froide, et je dois reconnaître que c'est un homme bien élevé, quoique sentant un peu la prêtrise.

Je me suis imprégné de philosophie. Je crois que la loi pour moi, la sainte loi sans doute, j'ai été déçu, mais comme je n'y puis rien, j'attends le moment de la revanche.

Combien vous êtes plus heureux que moi ! J'ai cru songer comme je vous le disais dans une lettre précédente, à rentrer définitivement en France. Mais je sais que Justin ne me le pardonnerait pas, et je ne tiens pas à me fâcher avec lui. Seulement, il est que je serai nommé administrateur, mon sort est bien pris. Je demande à vivre outre Colonie. Seulement, cette nomination me paraît désormais bien chimérique. Le gouvernement semble bien résolu en effet à ne point envoyer au département les Notes du personnel du Congo, sous le prétexte que ce personnel est local. Ainsi donc, que deviennent les assurances qui m'avaient été données en décembre 1888, vous serez nommé administrateur dans 2 mois ? me disaient Révoil et de Brazza. Il y a un an de cela, et je suis convaincu que mon nom est bien oublié dans les bureaux du Ministère. Vous comprenez, ces combines multiples, j'ai quelquefois des pensées amères, et combien je regrette de m'être engagé. Il a déjà assez, dans tout ce fonctionnarisme étroit et ridicule. J'ai un secret pressentiment que je ne réussirai pas mieux. Mais, encore une fois, je ferai mon devoir, avec un brin de confiance, pour tout cela une indifférence qui pourrait affaiblir.

Le jour où je serai dans l'histoire, le temps me semblera au moins s'avancer vite. Quant à ce que j'ai désiré, un Congo de surveillance et tâchons de me sortir de cette boîte inutile de vous dire qu'on m'écrit plus M. de Brazza. D'ailleurs pour ce qu'il a affaire ici, il a, aux dires de tout le monde en France, perdu bien de rester en France. Ceux qui ont quelques affections pour lui doivent le laisser soigneusement. Ils sont comme ces catholiques hostiles qui n'osent plus montrer leur drapeau. C'est cela est une pénible car en somme, ce n'est pas un homme ordinaire. J'ai bien peur en toute de n'avoir deux mois encore de cartes de lettres à l'occasion du 1er janvier. Sans doute la plupart de ces personnes ne daigneront pas répondre à ma politesse.

Je me demande de nouveau à votre douceur pour 6 flacons d'eau dentifrice des R.P. Bénédictins. Je pense que vous pourriez les envoyer par la poste, ou les envoyant séparément. Cela reviendrait plus cher, mais le service qui ils me rendront vaudront ce prix élevé. Priez Louis de vous rembourser régulièrement. Il serait bon également qu'il vous rembourse tous les ports des journaux, car cela ferait une certaine somme dont je serais désolé de vous laisser. Merci de votre complaisance.

Je vous embrasse de tout mon cœur, que cette petite feuille de papier vous apporte les meilleurs de mes vœux.

Votre dévoué frère,
Jules Berton