Add transcriptions of letters from Jules Herbovy (1893-1895)
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Le 15 septembre 1889
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Ma chère Marie,
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Il fait aujourd’hui un temps superbe, aussi la rade est belle, le vent souffle légèrement. Je suis content et bien portant. Content pourquoi? Ce n’est assurément pas à cause de la réussite de mes projets qui ne vient pas; non, c’est tout simplement parce que je vais causer un peu avec ma chère Calotte, cette méchante sœur dont je n’ai reçu aucune nouvelle par le paquebot qui a quitté Marseille le 10 août.
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Ce matin j’ai été à la messe à l’église paroissiale de Libreville. C’est pauvre, mais convenable, très propre et bien rempli. Les petites négresses des bonnes sœurs chantent très agréablement accompagnées par un bon harmonium. En un mot, j’ai été étonné de ce que la piété pouvait faire de gens qui sont trop souvent des brutes, et la morale de ceci est que j’y retournerai plus souvent.
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J’ai fait connaissance avec le fils Espinasse. C’est un jeune homme charmant, très jeune et très simple; il m’a semblé encore très naïf au point de vue des voyages, mais j’imite cela étant bonne que j’ai passé par là. Je crois que son destin va partir prochainement pour l’Amérique du Sud.
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J’ai enfin reçu des nouvelles des Draguignanais (ou mieux Draguignan). Henriette se remet lentement. Je vois d’un coin certain bébé rose en maillot, coiffé d’un grand béret blanc. Quelle drôle de chose que la vie! Souvent je vais rêver sur ces grèves de la Provence; j’ai retrouvé la portion de mon âme qui s’est envolée ici.
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Je pense que vous vous embrassez bien dans cette réunion intime! Les femmes, les mères surtout ont mille choses à se raconter, que les hommes ignorent. Être amis d’enfance se retrouvant souvent, le cœur et les larmes unies, la vie de l’homme en effet, a de rares exceptions près, se compose d’événements routiniers et bourgeois, artificiels, mais où la joie n’a rien à voir. Au contraire, la vie de la femme se passant bien plus au foyer, me ressort beaucoup plus de petites émotions intimes. Elle en fait sa joie; cette joie, elle aime à la communiquer, surtout à une sœur.
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Je ne sais si j’argumente juste, mais je sens de plus en plus combien j’aime cette nature faible et d’un spécimen inférieur au plan masculin. Hélas! plus on aime la femme, plus on a dans la suite d’illusions à détruire. Un redouble pour moi l’incertitude de l’avenir! Que faire à la rencontre d’une destinée? Et ce mot n’est pas dans ma bouche une expression banale. Sans doute, je ne crois pas à quelque chose de fatal dans nos actions: c’est trop absurde et cela nous réduit à l’état de machines! Mais, il n’en est pas moins vrai que certaines vies sont à jamais gâchées et amères jusqu’à la mort, parce qu’un œil vous aura regardé un beau matin de votre existence! C’est immense, mais cela est…
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Dans ces conditions, que vous importe tout ce qui n’est pas absorbé par une pensée unique: l’être aimé, idéalisé, voulu. Quelle chose charmante et affreusement logique, quand, irréparable, quelle torture morale peut être comparée à ce déchirement suprême! L’Antiquité nous offre un constant rapetissé lorsque nous le prenons comme terme de comparaison!
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Que faire? Rien, poursuivre son chemin; que y faire? Mais il n’y a plus rien dans votre chemin; un but, un repos: il y a la mort qui vient à saint pas, comme un voleur, dit l’Écriture.
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C’est une étude bien curieuse pour un psychologue que cette passion intime contenue dans une seconde de contact! Pourquoi cette petite blondine, au milieu de tous les visages que j’ai entrevus au loin? Pourquoi ce bouton à peine éclos, quand j’ai pu respirer des fleurs charmantes? Oui, ma vie a été effacée comme avec la craie ou l’album noir par l’éponge du mathématicien. Il me semble qu’avant le 10 avril 1888, il n’y a plus de passé pour moi; c’est étrange et nous verrons quand s’ouvrira la troisième période.
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Le 20 septembre 1889
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Encore un mot avant de fermer l’enveloppe. Nous sommes entrés dans la mauvaise saison, mais je pense que je la soutiendrai vaillamment. J’apprends à l’instant que M. Sabine, le Résident de Brazzaville, va redescendre au Gabon pour rentrer en France: 6 mois de congé, 3 mois de voyage; tout cela à partir du mois de novembre; le remplacer aurait bien fait affaire; malheureusement cette maudite nomination d’Administrateur Colonial de 1ère classe ne vient pas, et il est fort probable que ce sera un autre. Jusque-là, quand durera la situation provisoire et idiote où je suis!
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Quel vieux rabâcheur je fais!
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Je vous embrasse tous bien tendrement, et je caresse bien mes trois petites blondines, surtout ma pétillante jolie…
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Ton dévoué
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Jules Barloy
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