- Created new files for letters dated from February 16, 1893 to January 19, 1895. - Included personal updates, health concerns, and family matters. - Highlighted ongoing issues related to professional reinstatement and administrative challenges.
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Toulon le 25 septembre 1886 Croiseur le “Indomptable”
Ma chère petite sœur,
Nous sommes en rade depuis 3 heures, et dans 15 jours nous aurons sans doute quitté la France. Je te remercie de ta bonne lettre et je souhaite que tous vos ennuis finissent promptement. Les enfants d’Henriette ont aussi été très éprouvés, et il faudra du temps pour qu’ils reprennent leurs bonnes couleurs.
J’ai reçu mes cravates, elles sont superbes. Je vous enverrai prochainement les 7.20. Quant aux 5 gilets je les expédierai par colis postal. Je suis très pressé en ce moment et te prie de ne pas m’en vouloir si je suis si bref. As-tu des nouvelles de mon oncle ?
Au revoir ma sœur chérie, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que Camille et tous ces petits mignons. Mes amitiés à la bonne maman.
Ton dévoué frère, Gaston Balay
Fort-de-France, Martinique, le 21 novembre 1886 “Indomptable”, Division navale de l’Atlantique Nord
Ma chère Henriette, Ma chère Marie,
Nous partons demain pour la Guadeloupe et les Saintes, aussi je ne veux pas laisser partir le courrier du 21 sans qu’il vous porte de mes nouvelles. Je suis assez surpris de n’avoir pas encore reçu de vos nouvelles, ni de Lyon, ni de Draguignan. Cependant il y a 3 départs de France par mois, et Louis doit savoir les dates. Sans doute vous avez eu beaucoup de mal avec vos enfants malades. À ce propos, je serai bien heureux d’apprendre que tous ces mignons, garçons et filles, sont absolument tirés d’affaire.
Et vous mes amies Lyonnais et Draguignanais, vivez-vous toujours dans le calme et le recueillement, trouvant dans vos intérieurs bénis les distractions de tout les visiteurs vous aimant, vous estimant ?
Comment va la famille, et en particulier notre bien aimable oncle ? Faites-moi un peu souvenir de la vie paisible et posante dont j’ai vécu pendant ces deux mois, où cependant il me manquait toute la paix !
Je vous dirai que quelques mots de Fort-de-France. C’est une petite ville de bois habitée par des nègres ; mais là je ne retrouve pas mes sauvages demi-nus du Gabon, braves gens quoique un peu canailles, ce sont ici des nègres habillés à l’européenne, ayant tous nos vices mais sans notre intelligence et nos qualités. Des gens-là nous entourent, nous sommes les “seigneurs” mais nous ne sommes plus les “Européens utiles” de là-bas. La politique a fait des citoyens : c’est un progrès ! Le jour où les Anglais viendront, c’est à bras ouverts qu’ils seront reçus. L’île est ruinée comme toutes les Antilles françaises, les fortifications sans artillerie sont démantelées. Notre influence perd tout ce qu’elle tente, à côté de la prospérité de Cuba, de la Jamaïque, de Curaçao, de St-Thomas, nous ne pouvons offrir que la misère de la Martinique et de toutes nos autres Antilles.
Mes chers amis, je crois que les voyages universels et les conditions dans lesquelles nous pouvons les faire affermissent peut-être chez nous la prudence de l’amour du foyer et le désir suprême de posséder une famille ; mais à coup sûr ils ne développent pas la fièvre patriotique. Il y a des instants où ils produisent des écœurements et des hontes, et quand on regarde à l’horizon on ne trouve rien, pas d’usine !
Le climat à Fort-de-France n’est pas désagréable : il est tiède et doux ; seulement actuellement il pleut sans cesse et d’une façon épouvantable. Nous pensons néanmoins que le commencement du mois de janvier nous apportera définitivement le beau temps. Le pays est assez gentil, mais quand on revient du Gabon la végétation semble mesquine ; d’ailleurs j’ai eu tellement d’occupations depuis le 9 jours de notre arrivée, que je n’ai pu faire les principales excursions qui, paraît-il, en valent la peine.
Cependant, ce soir, nous avons loué, l’officier en second, le docteur et moi, une petite voiture et nous sommes partis dans la direction du Camp de Balata : véritablement le pays est très beau. La végétation intérieure, celle des plantes proprement dites, est superbe. On nous annonce qu’un peu plus loin commence la région des grands arbres, et là je pourrai retrouver mes émotions du Gabon bien entendu un peu civilisées. Quand nous reviendrons j’essaierai de m’y promener un peu. D’ailleurs aucune chasse, c’est ce qui m’ennuie le plus. Je vous avoue franchement que je trouve assez longs les 21 mois d’environ que j’ai à passer dans ces parages, où nous promet l’escale à la Martinique, la Nouvelle-Orléans, New-York, le Canada et Québec, mais tout cela pour l’année 1887. Jusqu’à ce moment nous ferons les Antilles petites et grandes et le Golfe du Mexique. On dit qu’au mois de juin arrivera l’hivernage jusqu’au mois d’octobre ou novembre. Espérons que tout cela passera le plus vite possible. Un de ces jours je vais adresser à Paris ma demande de changement de port, et de cette façon je me réjouis déjà d’être votre voisin à ma rentrée en France.
Allons, assez bavardé, il est tard et ce temps humide me fatigue toujours un peu.
Je vous embrasse tous, chers amis, de tout mon cœur. Vos noms sont tous les soirs sur mes lèvres quand je prie Dieu, et je lui demande qu’il vous protège toujours et partout, petits et grands.
Si vous le pouvez, faites parvenir mes lettres à Amiens quand vous les jugerez convenables.
Votre dévoué frère : Gaston Balay